Poétiques du temps chez Diderot (écrits philosophiques, écrits fictionnels)
Chez Diderot, le temps est un puissant embrayeur littéraire, ouvert aux virtualités de la pensée. Aux grandes architectures conceptuelles qui absolutisent le temps (au premier rang desquels se trouvent les « écoles de théologie » [Le Rêve de d’Alembert]) s’opposent l’expérience de pensée, le songe matérialiste, l’extrapolation imaginaire. Niant l’« esprit de système », Diderot fait vaciller toute relation verticale à la connaissance (dont il interroge cependant les modalités), y compris dans l’Encyclopédie. Diderot opère de fait une véritable destitution du temps linéaire. Surtout, il reporte ce temps subjectivé, celui des dissonances d’un esprit « éclectique », sur la fiction, pour la nourrir et pour s’en nourrir. Les composantes « morphologiques » du roman, du dialogue philosophique, du conte se voient alors subverties. Ce temps défait, dont Diderot a remarquablement saisi les apories, ne conduit pourtant pas à une vaine sophistique. Il traduit une tentative toujours recommencée d’interpréter le monde sensible, ce dernier n’étant perceptible qu’au travers d’un (dés)ordre momentané, susceptible de se dissoudre à tout instant. La problématique du temps sera mesurée à l’aune de trois perspectives : épistémologique, stylistique et herméneutique.