Contre la poésie, la poésie
Contre la poésie, la poésie
-Colloque international, 4-6 mars 2021, Université de Liège-
Haine de la poésie : tel est le titre emprunté à Bataille et donné par des poètes à un volume d’essais poétiques paru en 1978 chez Christian Bourgois. Ce titre, volontairement polémique, pour un ouvrage qui réunit des écrits de poètes, invite à poser la question des critiques de la poésie. Contrairement aux travaux effectués dans le champ des études théâtrales sur la « haine du théâtre » (François Lecercle), il n’est pas question ici d’interroger les condamnations extérieures au champ poétique, mais bien les controverses internes : non pas les contempteurs de la poésie, mais les animosités de poètes envers la poésie elle-même, ou ses avatars.
Les contributions de Mathieu Bénézet, Franck Venaille et Bernard Noël à l’ouvrage Haine de la poésie proposent une première interprétation de cette expression : la poésie y est associée à un mensonge fait à soi-même, une sorte de mirage vain auquel le poète (dont l’identité est par là-même remise en cause) s’efforcerait de croire, au même titre que la religion, par exemple. On interrogera, dans cette perspective, le rapport du poète à son œuvre : quelle posture adoptent les poètes vis-à-vis de leur entreprise poétique ?
Contre la poésie : adversative, la préposition contre exprime aussi la proximité, voire l’intimité. Qu’est-ce qui a pu amener la poésie à se positionner contre la poésie – tout contre elle ? Que se cache-t-il derrière le mot poésie quand on s’oppose à elle ? Ne s’oppose-t-on pas davantage à des types de poésie, à des personnes, à des définitions, plutôt qu’à la poésie elle-même ?
Les avant-gardes poétiques du XXe et XXIe se sont construites dans une opposition à la poésie (pré-)existante. En 1918, Tristan Tzara proclamait dans le deuxième manifeste Dada : « Que chaque homme crie : il y a un grand travail destructif, négatif à accomplir ». La virulence du propos - et de l’entreprise dadaïste en général- devait placer les avant-gardes de ce début de siècle sous le signe de la révolte et du dégoût - même si l’émergence du surréalisme témoigne d’une poésie qui concilie esprit de révolution et élaboration d’un système de pensée, capable de féconder des formes poétiques nouvelles.
Sur le plan formel, la révolution poétique opérée par le « Coup de dés » mallarméen, a ouvert la voie à des explorations typographiques et visuelles qui marquent profondément l’histoire de la modernité poétique, et font exploser les unités traditionnellement constitutives du poème que sont la ponctuation, la strophe et le vers. Les calligrammes d’Apollinaire font fi de la linéarité, les livres de poésie d’Orange Export Ltd. accordent une place considérable à l’espace blanc, la concrete poetry élabore des poèmes visuels qui s’offrent à l’œil comme des œuvres plastiques, Michèle Métail trace des poèmes topographiques, qui se lisent comme des cartes, Suzanne Doppelt accompagne ses textes de créations visuelles qui viennent interrompre le fil de la lecture poétique.
Le désir de rupture a également mené à une exploration de différents medium poétiques, posés comme des réponses —ou réactions— à l’hégémonie de la poésie livresque. Contre l’espace du livre, se développent les expérimentations de la poésie sonore (Bernard Heidsieck, Christophe Tarkos), les lectures de poètes (Gwenaëlle Stubbe), les performances poétiques (Julien Blaine, Caroline Bergvall), ou encore les expérimentations poético-musicales menées à l’IRCAM par Laure Gauthier.
Le lyrisme est, lui-aussi, la cible d’attaques répétées. La poésie objectiviste américaine, dans son effort tendu vers une objectification du poème, ouvre la voie, en France, à une poésie sans accent poétique (Hocquard). Le concept de modernité négative forgé par Emmanuel Hocquard dans la Bibliothèque de Trieste synthétise les refus qui caractérisent une partie de la poésie française à partir années 1970. Contre un certain lyrisme basé sur la métaphore et l’image s’impose une poésie littérale. Cette modernité apophatique, contemporaine des Language poets aux Etats-Unis, développe une poésie grammaticale, qui cherche à s’affranchir des normes langagières, jugées normatives et apoétiques. Ces poétiques, qui se définissent par un écrire contre (Gleize), rassemblent poètes et antipoètes d’horizons divers, et donnent naissance à des œuvres qui se lisent comme autant d’entreprises de transgression : Le Renversement de Claude Royet-Journoud, Césure d’Anne-Marie Albiach, Le mécrit de Denis Roche (précédé de Lutte et rature), les Povrésies de Jude Stéfan (témoignage de sa « Poésie-pire », qu’il qualifie aussi de « poésie-contre »), etc.
Autant de poétiques de rupture (Laurent Jenny), de reconfigurations des écosystèmes poétiques, de questions posées à la poésie sur sa propre nature, de remise en cause de l’existence d’une « essence » poétique, de casse-têtes définitionnels…
Si la formule de Bataille, reprise par des poètes, a donné naissance à cette réflexion, il ne s’agira pas de s’interroger sur l’œuvre de Bataille ou le contexte théorique de celle-ci, mais plutôt d’élargir la question du rapport conflictuel de la poésie à elle-même à un contexte qui dépasse celui de la poésie française de la seconde moitié du XXe s, et ne se limite pas à un groupe de poètes. Reposer la question de la nature du poétique, par le biais de ce qui s’est opposé à elle, au sein même d’un champ que l’on voulait, nommait poétique. On le comprend, ce colloque ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion sur la nature du fait poétique – et à cet égard, les travaux de Jean-Marie Gleize sur la sortie de la poésie et la postpoésie restent décisifs.
La question de l’hostilité des poètes vis-à-vis de la poésie – ou d’une certaine poésie - pourra être abordée à propos de sphères culturelles et linguistiques diverses, de diverses manières, parmi lesquelles :
- une approche sociologique : quel.le.s sont les poètes qui se sont opposé.e.s entre elles et eux ? à travers elles et eux, quels sont les pans du champ poétique qui s’opposent ?
- une approche définitionnelle : sur quelles définitions du champ poétique ces oppositions reposent-elles ?
- une approche historique : à quels moments de l’histoire littéraire ces oppositions se sont-elles cristallisées ? Ont-elles été surmontées, transformées ?
- une approche poétique : ces oppositions ont-elles apporté des poétiques nouvelles ? quelles sont les formes poétiques de l’opposition ?
- une approche théorique et critique : comment ces antagonismes ont-ils été pensés, théorisés ?
- une approche comparatiste : peut-on mettre en lumière des similitudes, des différences, entres les critiques de la poésie formulées par des poètes qui appartiennent à des aires linguistiques et culturelles diverses ?
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Ce colloque international se tiendra à l’Université de Liège (Belgique), les 4, 5 et 6 mars 2021. Il est co-organisé par l’Université Paris 8 (Vincennes-Saint-Denis). La programmation en présentiel se fera sous réserve de conditions de possibilités sanitaires. (Une organisation du colloque en ligne sera envisagée si les conditions sanitaires ne permettent pas de le faire ne présentiel.) Ce colloque donnera la parole à la fois à des universitaires et à des poètes. Une publication en ouvrage des actes du colloque est prévue.
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Les propositions de communication (un titre et 500 mots maximum) doivent être envoyées avant le 31 décembre 2020 à l’adresse suivante : colloquecontrelapoesielapoesie@gmail.com.
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Comité d’organisation : Martine Créac’h (Université Paris 8), Lénaïg Cariou (Université Paris 8), Gérald Purnelle (Université de Liège), Stéphane Cunescu (aspirant FNRS -Université de Liège).
Comité scientifique : Martine Créac’h (Université Paris 8), Gérald Purnelle (Université de Liège), Anne Gourio (Université de Caen), Abigail Lang (Université Paris 7), Vincent Broqua (Université Paris 8), Jean-François Puff (Université de Cergy), Stéphane Baquey (Université Aix-Marseille), Anne-Christine Royère (Université de Reims), Michèle Delville (Université de Liège).
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Poètes ayant confirmé leur présence : Michèle Métail, Yves di Manno.