Le propos de ce travail est d’étudier les usages, les significations et les fonctions du lexique musical dans les critiques littéraires française et anglaise de 1890 à 1940. Il s'agit de retracer les conditions dans lesquelles on en vient à déceler l'emprunt de structures musicales dans l'analyse des oeuvres littéraires, depuis les balbutiements de cette pratique dans la période symboliste jusqu’au repérage d’une forme symphonique ou fuguée dans les oeuvres de Proust, Gide,Woolf, Huxley ou Joyce. Dans une première période qui coïncide avec la fin du symbolisme en France (1890-1910), les nébuleuses métaphoriques gravitant autour des termes "musique", "symphonie" et "leitmotiv" permettent au discours critique sur la littérature de reposer différemment la question des rapports entre forme et signification et de s'émanciper des critères de la rhétorique classique. Entre 1910 et 1930, dans les milieux cosmopolites bergsoniens de la NRF, du Mercure de France, de the Athenaeum et du Times Literary Supplement, les métaphores de la symphonie et de l’harmonie participent comme métaphores de l'organique d’une lecture postromantique des oeuvres dans laquelle les notions de thème, de rythme et de variation déconstruisent les critères classiques d'intrigue, d'unité et de discontinuité. Bien que les métaphores musicales, dominées par les figures tutélaires de Beethoven, de Bach et de Wagner, restent entre 1930 et 1940 largement fondées sur l'usage du calembour, de l'antonomase et de l'hyperbole, les critères d'analyse musicologiques de la symphonie, de la variation et de la fugue s’intègrent progressivement au discours critique comme un outil de lecture formel et structurel, qui permet d’aborder les structures complexes et déroutantes des grands romans de la modernité. This work analyses how French and English literary critics from 1890 to 1940 borrow musical structures in order to explain literary texts. We consider how the role, the meanings and the function of musical metaphors in critical discourse evolve from the infancy of this practice to the reading of musical structures in works of Marcel Proust, Aldous Huxley, James Joyce and Virginia Woolf. In the first period considered (1890-1910), at the end of the Symbolist period, the metaphors of the symphony and leitmotiv allow the French Symbolists to define their own literary ideal, to move away from classical rhetoric towards a new relation between form and signification. Thereafter, the use of musical metaphors in literary criticism is associated with deconstruction of classical rules governing plot, continuity and unity. The critics of the second period (1910-1930), who conveyed a post-romantic conception of form, used terms such as "theme", "rhythm", and "variation" to describe formal and structural literary devices by using play-on-words, hyperbole and antonomasia. Borrowing features from the musicological analysis of the fugue, the symphony and musical variation, which they reframe as reading criteria, the critics of the 1930s help read modernist novels of the beginning of the twentieth century.
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