Voici l’un des lieux communs les plus rebattus de l’histoire littéraire : à l’ère de la modernité, la poésie aurait fait corps avec le livre, enserrée dans l’écrin d’un volume artisanal et destinée à quelques happy few. À la fin du XIXe siècle, le mythe mallarméen a consacré l’alliance du Livre et du Poème, purifiant la poésie de tout ce qui la rattachait encore à l’ordinaire de la vie sociale. Or rien n’est plus faux. Depuis la Révolution française, la poésie, sous toutes ses formes, a envahi l’espace public : une poésie mobilisée par les révolutions comme par les pouvoirs officiels, une poésie déclamée ou chantée au coin des rues, glissée dans les colonnes des journaux, écrite sur les murs, récitée à la radio, interprétée sur scène ou pour l’industrie du disque, mise en images au cinéma ou à la télévision, rappée, slamée, et profitant aujourd’hui de l’infinie plasticité du numérique. Il ne s’agit pas d’une production marginale à laquelle il faudrait rendre justice par bienveillance. Non seulement cette poésie protéiforme est quantitativement beaucoup plus importante que la poésie des livres ; et pourquoi serait-elle plus médiocre, pour la seule raison qu’elle réaliserait le rêve romantique d’une poésie concrètement adressée à tous ? Mais encore elle se révèle plus que jamais omniprésente, dissimulée au cœur d’une culture qu’on imaginait vouée au slorytelling et aux fictions en tout genre. C’est donc à une histoire radicalement nouvelle de la poésie moderne qu’invite cette première somme collective sur la poésie hors du livre, « délivrée », conçue et rédigée par une trentaine de spécialistes en histoire, littérature, philosophie, musicologie, histoire de l’art, sciences de l’information et de la communication, sociologie.
|