L'ennui est une notion clé dans la littérature de la deuxième moitié du xixe siècle, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faille pas chercher l'expression de l'ennui avant ou après cette période. Si le passage de la mélancolie romantique à l'ennui fin de siècle représente en effet une évolution historique essentielle pour la compréhension de l'ennui au xixe siècle, il nous a semblé aussi important d'étudier dans ce livre l'ennui en dehors de ce contexte historique exceptionnel. Il était nécessaire de distinguer un phénomène de mode, une attitude, d'une souffrance existentielle ou d'un ennui d'essence pascalienne. Il nous a semblé indispensable également de distinguer l'ennui de la mélancolie à laquelle nous avions déjà consacré un volume dans cette collection. Mélancolie et ennui ont un lien avec le vide, le vide ressenti au présent. Mais dans l'ennui, ce vide est une sorte d'atonie, d'état qui s'étale, sans relief. L'ennui, c'est la résignation au vide, â la monotonie, c'est l'impuissance à ouvrir une faille, une brèche dans cet état monocorde. Pour définir l'expérience de l'ennui, quelle que soit l'époque envisagée, ne faut-il pas partir du rapport de l'homme au temps ? L'ennui, c'est le sentiment de l'éternelle permanence. Nul futur n'est à venir, rien n'adviendra jamais à un présent qui se répète. Ce temps mort est le temps de l'ennui. La vie ne peut plus être sentie que comme déception, répétition, absence, non-être. Ce n'est plus l'objet qui déçoit le sujet, c'est le sujet qui se déçoit lui-même. L'expérience de l'ennui relève d'une sorte d'incapacité originelle à être affecté. C'est le désir lui-même qui disparaît avec tout ce que cela implique de suspension des sens et disparition de ce qui reste fondamental dans la Mélancolie : la nostalgie.
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