Le terme « art déco » fait immédiatement penser à un style, d’architecture, de meubles, d’objets, de mode. On ne saurait, de prime abord, songer à une écriture « art déco ». Le présent essai, en se consacrant aux nouvelles de Moravia, dont la rédaction s’est échelonnée entre 1927 et 1951 - la plupart d’entre elles écrites avant la guerre - a tenté la saisie d’une époque, celle des années 30, où l’on voit se banaliser dans un ensemble homogène, englobant toutes les formes non seulement de l’activité créatrice mais des rapports des individus à de nouvelles représentations, les données d’une modernité économique et industrielle. Au-delà des totalitarismes politiques s’est installé un totalitarisme des formes, dans un auto-conformisme, établissant un nouveau statut du sujet dans l’objet : ce que Pierre Sansot, dans sa Poétique de la ville, désignait du nom d’objectal. On verra comment peuvent se repérer dans les Racconti de Moravia tous les mécanismes spéculâmes d’une conception du monde close, autarcique, rigoureusement cadrée. Mais à plus de cinquante ans de distance de l’époque qu’il s’est proposé de reparcourir à travers le texte moravien, ce livre se voudrait la limite dans laquelle s’est inscrite une mémoire, ce par quoi, au-delà ou en deçà d’une génialité qu’on peut ou non lui attribuer, l’auteur des Racconti s’avère être le strict observant d’un moment - peut-être le plus déroutant d’entre tous - de notre histoire. Il y a là un peu de l’Amarcor - souvenir et amertume ensemble - de Fellini, si ce n’est qu’à l’opposé du metteur en scène, génialement fantasque, Moravia a cerné dans une rigoureuse précision, presque janséniste, les contours d’une époque qui n’en a pas fini - parfois à tort et à travers - de faire parler d’elle.
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