L'utopie naît en 1516, quand Thomas More moule dans une forme nouvelle des traditions aussi diverses que la doctrine politique de Platon, la satire de Lucien, le monde à l'envers, les mythes de l'âge d'or et du paradis terrestre, l'idéal monastique et les récits du Nouveau Monde. Si, au cœur du genre, fondamentalement hybride dès ses origines, se trouve toujours l'image concrète et détaillée d'une société radicalement différente et s'affirmant meilleure que toutes les autres, le sens du projet utopique n'est pourtant jamais donné, mais ardemment débattu, critiqué, brouillé ou renversé. C'est ainsi que l'utopie prend tour à tour l'allure d'un dialogue, d'une satire, d'une allégorie, d'un récit de voyage, d'un roman d'aventure ou d'une science-fiction et change, au cours de son histoire, de forme et de sens comme un caméléon. Le parcours que proposent les contributions du volume va de Sénèque aux derniers avatars de l'utopie contre-utopique du corps technologiquement perfectionné, en passant par le royaume des Amazones, la ville idéale de la Renaissance, le meilleur des mondes possibles de Voltaire, les dystopies du xxe siècle et l'utopisme de la science-fiction. À l'idée reçue d'un passage linéaire de l'utopie traditionnelle à l'anti-utopie moderne s'opposent les méandres d'un discours qui situe l'utopie, depuis toujours, dans un tiers espace entre l'eutopie et la dystopie. Hommage à Claude-Gilbert Dubois et à son lointain essai sur les Problèmes de l'utopie, ce volume rappelle que le genre utopique « obéit à une esthétique de la distanciation beaucoup plus qu'à une esthétique de l'illusion ».
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