En 1932, Jean Paulhan écrit qu'un jeune homme désireux de s'engager politiquement n'a de véritable choix qu'entre Karl Marx et Charles Maurras : alternative inconcevable aujourd'hui, tant Maurras incarne à nos yeux une France du passé, haineuse et coupable. Comment, pourtant, occulter la vie et l'oeuvre de cet homme, sans lesquelles le XXe siècle demeure largement incompréhensible ? Comment expliquer qu'il ait influencé des personnalités aussi différentes que celles de Charles de Gaulle, T. S. Eliot, Jacques Lacan, Philippe Ariès, Georges Dumézil... ? Tenter de comprendre la fascination qu'il exerça, est-ce nécessairement verser dans l'irrationalité antisémite qui entachait sa pensée ? Car Maurras fut l'un des personnages les plus contrastés de cette France dorée et trouble de la Belle Époque et de l'entre-deux-guerres. Il y a le Provençal monté tout jeune à Paris, disciple de Frédéric Mistral et de Dante, dont les idées fédéralistes sont saluées à gauche comme à droite ; il y a le héraut du royalisme, fondateur de l'Action française au tournant du siècle, défenseur du catholicisme, mais agnostique lui-même ; il y a le journaliste polémiste antisémite et antidreyfusard, hostile au nazisme dès 1923 ; il y a le critique littéraire, qui salua en Proust, auteur inconnu des Plaisirs et des Jours, un écrivain exceptionnel ; il y a le poète et prosateur, que Gide, Colette, Valéry et tant d'autres mettaient au pinacle de la littérature française... Il y a aussi, bien moins connu, un Maurras bon vivant, épris des femmes et nourri de culture antique. S'appuyant sur des correspondances, des documents et des témoignages inédits, cette biographie propose un portrait fouillé, qui raconte aussi l'une des époques les plus complexes de l'histoire de France.
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