Une bonne part de l'activité propre au critique littéraire consiste à "lire entre les lignes" : éclairer des allusions et des sous-entendus que le temps a effacés, reconstituer des projets précis, resituer un art d'écrire. L'objet du travail auquel s'adonne le psychanalyste est d'"écouter entre les phrases" du patient, pour repérer les points d'ancrage inconscients où s'amarre son désir. Dans les deux cas, le discours qu'on élucide s'offre comme un guide. Quelque chose est à trouver, même si rien n'a été caché intentionnellement dans les mots. L'entreprise textanalytique rencontre d'autres conditions d'exercice. Il n'y a rien à rechercher dont l'histoire ni l'écrivain aient jamais pu être conscients. Une sorte de fermentation, le fantasmatique en liberté, du désir sans sujet, voilà ce qui peut être visé, du moins recueilli grâce à une "écoute entre les lignes". Qui donc occupe cet intervalle ? Le lecteur. Comment ? Il doit, plutôt que suivre l'axe d'un chemin, combler inépuisablement un fossé, écarter, aux deux sens du mot, la béance d'un sens en surrection indéfinie... Mais le critique n'est pas simplement un lecteur: il rend publique sa lecture. En outre, rien ne se perçoit d'inconscient sans la connivence d'un autre sujet. Ecrire ce que j'entends devient alors obligation de théorie: afin d'assurer la relance ailleurs des effets de vérité, faire des interlignes un espace où se multiplient les (ré)écritures. Les textes mis à l'épreuve de cette lecture écrivante ("écrivaine", pour jouer ?) vont de Peau d'âne à une nouvelle de Sartre, en passant par un sonnet baroque, des poèmes de Beaudelaire, un conte de Maupassant et Le Rêve de Zola.
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