Annie Ernaux a déclaré écrire à partir de son vide, que la perte est le « noyau dur » de tous ses livres, le fil qui les relie entre eux. Cet ouvrage propose une lecture attentive de l'œuvre ernalienne (romans, récits de vie, journaux concertés, extraits de journal intime, essai, lettre, etc.) et s'articule autour de trois aspects principaux : la perte, les traces et la religion. Quatre pertes sont identifiées, émergeant à diverses époques et de différentes manières dans l'œuvre : les amants perdus qui renvoient dans une sorte de mise en abyme à l'amour malheureux de 1958, l'avortement clandestin subi en 1964, la mort du père et de la mère (celle-ci levant nombre d'interdits) et l'existence (cachée) d'une sœur aînée décédée en 1938, deux ans avant la naissance d'Ernaux. La perte qui sous-tend l'œuvre ernalienne explique la fascination de l'écrivaine pour les photographies (soumises ici à un examen aussi approfondi que systématique), les taches (dont l'étude permet une nouvelle lecture de l'avortement), les traces en général. Soucieuse dès un jeune âge de « laisser sa trace », dans un élan d'affirmation vitale du moi, Ernaux contrecarre la disparition, la perte et l'oubli en laissant une trace indélébile, l'écriture, accordant à ses textes une qualité messianique. Séparée de la religion catholique qui a baigné son enfance, tant dans le monde familial que scolaire, Ernaux garde dans ses textes des habitus religieux. Surtout, elle y sauve (sauvegarde) les êtres et les choses passés dont la trace ne subsistera pas, elle y sauve (apporte le salut) à ceux qui la lisent et reconnaissent dans ses textes leurs propres expériences et elle se sauve. Son avant-dernier livre, Les Années, où elle atteint au corps glorieux catholique, transcende toutes les pertes vécues pour atteindre cette perte sublime, la dissolution du moi dans le lecteur. Fort de ses considérations sur la sœur défunte, l'avortement et le cancer, de son examen poussé des traces en tous genres et de son étude...
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