"Avec une équipe composée de littéraires, d'historiens de l'art, de spécialistes du théâtre et de la danse, de musicologues et d'historiens, ce projet témoigne bien d'un autre des aspects novateurs et structurants du travail de Micheline Cambron : le décloisonnement disciplinaire. En effet, bien qu'elle ait produit des textes originaux et marquants sur la critique et l'histoire littéraires, ses travaux d'équipe sur l'histoire et la mémoire culturelle dépassent largement la perspective disciplinaire pour envisager en un tout dynamique la "dimension esthétique de la vie commune" (Cambron, 2012 : 13) propre à un lieu et à une époque. Ainsi, des livres comme La vie culturelle à Montréal vers 1900 ou des chantiers tels que "Penser l'histoire de la vie culturelle" ont fait travailler de concert, et ce, pendant plusieurs années, des spécialistes de littérature, de théâtre, d'histoire, d'arts visuels et de musicologie dont les objets et les méthodes, souvent proches les uns des autres, ont longtemps évolué en vase clos. De pair avec sa curiosité intellectuelle et son érudition, c'est aussi son intelligence de la théorie qui permet à Micheline Cambron de mobiliser de semblables équipes pluridisciplinaires. Le pari est ici que par-delà les objets d'étude disciplinaires, les concepts et les méthodes (que ce soit la théorie des réseaux, des institutions, de la mémoire ou de son envers) peuvent agir comme facteurs transversaux pour mettre en commun des interrogations et des démarches de nature épistémologique. Sur le plan institutionnel, cette ouverture laisse un héritage durable, ne serait-ce que parce que sous sa direction, comme le rappelle le témoignage de son complice d'alors, Denis Saint-Jacques, le Centre d'études québécoises (CÉTUQ) s'est ouvert aux spécialistes de tous les domaines de la culture en devenant le CRILCQ (Centre de recherche sur la littérature et la culture québécoises) en 2003. De telles initiatives ont marqué durablement les études québécoises. Mais si le travail de Micheline Cambron reste foncièrement et indubitablement littéraire, c'est avant tout par sa démarche, fondée sur une lecture des grands paradigmes du récit (l'action, l'espace, le temps) à l'œuvre dans tous les objets discursifs, que ces derniers relèvent de la littérature, de l'histoire, de la société ou de la philosophie. Inspirée des propositions de Ricœur, la démarche mise au point dans Une société, un récit traverse sa production intellectuelle, l'incitant à saisir, en littéraire, le récit que la société se raconte à elle-même à différents moments de son histoire. Ainsi, comme le montre avec brio Serge Cantin dans l'article qui clôt cet ouvrage, c'est en littéraire que Micheline Cambron lit l'œuvre du sociologue et philosophe Fernand Dumont, dont le rapport douloureux à la distance s'avère emblématique du rapport que le Québec entretient avec la culture à la fin des années 1960 ; en littéraire qu'elle évalue l'héritage des travaux de Paul Ricœur ; en littéraire qu'elle effectue ses nombreux travaux sur la presse, y compris ceux qui paraissent a priori s'en éloigner, comme son article sur l'inscription de la Première guerre mondiale dans les journaux québécois auquel fait écho la contribution de Hans-Jürgen Lüsebrink. Comme l'énonce d'entrée de jeu l'équipe de recherche avec laquelle elle a étudié le traitement des Jeux Olympiques de Berlin dans la presse internationale, "Lire le journal, pour ceux qui ont contribué à ce numéro, c'est lire un monde. Et lire ce monde exige les outils de l'analyse littéraire". C'est une telle ambition que l'on voit à l'œuvre dans l'ensemble de la production intellectuelle de Micheline Cambron : "lire le texte social", donner à la mémoire, à la vie d'une époque, une forme narrative concomitante à la saisie de l'identité."--
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